Par Marc Vandepitte
Personne n'avait prévu la chute d'Assad, encore moins qu'elle se produirait aussi rapidement. Plusieurs facteurs expliquent la rapidité avec laquelle le pays a été submergé :
Isolement
Ces dernières années, les Syriens se sont presque unanimement retournés contre le président Assad. En raison des sanctions économiques strictes et illégales sur le plan international imposées par l'Occident, l'économie s'est effondrée, laissant une grande partie de la population dans la pauvreté.
Pour relancer l'économie, Assad a cherché un rapprochement avec les États du Golfe. Cependant, il a adopté une approche ferme, exigeant que ces pays financent la reconstruction de la Syrie en raison de leur soutien aux rebelles djihadistes. Ces derniers ont refusé, notamment à cause de l'implication du gouvernement syrien dans la production et la distribution de captagon, une drogue qui a inondé la région du Golfe.
Cela a renforcé son isolement, à l'intérieur comme à l'extérieur de la Syrie. La corruption était omniprésente, et Assad gouvernait d'une main de fer en s'appuyant sur une minorité chiite (les Alaouites). Après la guerre civile, Assad n'a pas réussi à rétablir la paix. La moitié de la population était déplacée ou avait fui à l'étranger.
De vastes portions du territoire échappaient à son contrôle. En 2018, la Russie avait négocié une réconciliation avec divers groupes rebelles, mais Assad l'a ignorée après quelques mois. Il a mis des gens en prison et retiré l'autonomie accordée à de petites villes où les habitants se sentaient en sécurité.
Cela a affaibli la position militaire d'Assad. En outre, les bombardements israéliens constants sur les installations militaires en Syrie ont considérablement réduit les capacités logistiques et matérielles des forces armées syriennes.
Parallèlement, divers groupes djihadistes ont bénéficié du soutien de la Turquie, d'Israël et des États-Unis.
Alliés qui se désengagent
Tout cela a fait que le gouvernement Assad ne pouvait se maintenir qu'avec le soutien de la Russie, de l'Iran et du Hezbollah.
Stratégiquement, la Syrie est cruciale pour les Russes en raison de leur seul port donnant sur une « mer chaude » (en Méditerranée). Cependant, en raison de la guerre en Ukraine, la Russie était moins capable ou disposée à intervenir militairement en Syrie.
Port de Tartous. Carte : cacahuate & Globe-trotter, Wikimedia Commons / CC BY-SA 3.0
Un facteur majeur ayant contribué à cette situation a été l'affaiblissement du Hezbollah et de l'Iran en Syrie. Ces derniers mois, les bombardements israéliens ont complètement désorganisé la logistique iranienne. Cela a empêché le déploiement de troupes iraniennes pour défendre le gouvernement syrien.
Cela a également contraint les combattants du Hezbollah à retourner au Liban. Sans le soutien des milices chiites iraniennes ou du Hezbollah libanais, Assad n'a pas pu se maintenir, et la Syrie est tombée comme un fruit mûr entre les mains de djihadistes bien armés et organisés, dirigés par Hayat Tahrir al-Sham (HTS).
Fragmentation de l'opposition
Les groupes d'opposition qui ont renversé Assad sont profondément divisés. Trois principales factions – Hayat Tahrir al-Sham (HTS), l'Armée Nationale Syrienne (ANS) pro-turque et les rebelles du sud – n'ont qu'un ennemi commun : Assad.
HTS, un groupe djihadiste, a peu en commun avec les factions islamistes plus hétérogènes de l'ANS et des rebelles du sud. De plus, ces groupes eux-mêmes sont un patchwork de factions internes qui s'affrontent régulièrement.
Il n'y a pas de coordination ou de structure globale entre ces groupes. Ce manque d'unité rend une transition pacifique ou un partage stable du pouvoir peu probable.
L'ancienne coalition d'opposition syrienne (CNS) est devenue presque insignifiante, tandis que le pouvoir est désormais entre les mains de chefs locaux et de milices issues des banlieues pauvres et des zones rurales.
Conséquences géopolitiques
La chute d'Assad a des implications régionales considérables. La Turquie a obtenu un avantage stratégique en renforçant son influence dans le nord de la Syrie.
Pour la Russie et l'Iran, qui ont soutenu Assad pendant des années, sa chute représente une défaite majeure.
Pour l'Iran, les répercussions sont particulièrement graves. Téhéran craint que ces développements ne déstabilisent également le Liban, où le Hezbollah pourrait devenir la prochaine cible.
L'instabilité menace également l'Irak, un partenaire économique et stratégique clé pour l'Iran. Si l'Iran perd son emprise sur l'Irak, cela porterait un coup sévère à son économie, qui dépend largement du commerce pétrolier via l'Irak. En outre, il existe des craintes d'un retour des conflits ayant conduit à la guerre Iran-Irak des années 1980.
Pour les États-Unis, la chute d'Assad s'inscrit dans leur stratégie visant à limiter l'influence iranienne dans la région et à renforcer Israël. Couper l'« axe chiite » (s'étendant de l'Iran à travers l'Irak et la Syrie jusqu'au Liban) est une victoire pour Washington et Tel Aviv.
Israël a renforcé sa position. La Syrie était cruciale pour les approvisionnements en armes du Hamas et du Hezbollah. Pour ces deux mouvements de résistance, la chute d'Assad est un coup dur. Israël profite de l'occasion pour détruire en grande partie la capacité militaire de la Syrie par des bombardements intensifs et en occupant et éventuellement annexant certaines parties du pays.
Conséquences au-delà du Moyen-Orient
Les développements en Syrie pourraient également avoir des répercussions en dehors de la région, notamment dans le Caucase du Sud. Après sa victoire en Syrie, la Turquie pourrait être tentée de se concentrer sur l'Arménie, en collaborant avec l'Azerbaïdjan pour créer un corridor terrestre entre l'Azerbaïdjan et l'enclave turque de Nakhitchevan.
Carte: Wikimedia Commons / CC BY-SA 3.0
Cela priverait l'Arménie d'un territoire crucial. Pour la Russie, déjà affaiblie par la guerre en Ukraine et la défaite en Syrie, cela constituerait un nouveau défi stratégique.
L'Iran, qui partage une frontière avec l'Arménie et l'Azerbaïdjan, pourrait également réagir aux ambitions turques dans la région, compte tenu de la menace potentielle pour sa frontière nord.
Marc Vandepitte
Sources :
– Fabrice Balanche : « La Russie et l'Iran ont douté de la capacité de Bachar al-Assad à restaurer son pouvoir »
– Why Bashar al-Assad's security state collapsed so dramatically in Syria
– 10 points about the fall of Bashar al-Assad's Syria
La source originale de cet article est Mondialisation.ca
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Par Marc Vandepitte